L’heure du virage décisif
En 2005, Keith H. Hammonds dénonçait les RH comme bureaucratiques, déconnectées du terrain et inefficaces au niveau stratégique. Vingt ans plus tard, le constat reste frappant : malgré la digitalisation et l’irruption de l’IA, la fonction RH est toujours coincée entre inertie, tensions sociales et attentes contradictoires.
Digitalisation : progrès ou illusion ?
La transformation digitale devait libérer les RH des tâches répétitives. Dans les faits, beaucoup d’entreprises ont simplement automatisé la lenteur et la lourdeur existantes. L’automatisation de la paperasse seule est insuffisante ; l’IA et les données doivent servir à anticiper les besoins des talents, améliorer l’expérience employé et renforcer la stratégie. Sans repenser la finalité du métier, la technologie ne crée pas de confiance, elle nourrit la frustration. Trop souvent, les organisations confondent numérisation et transformation digitale : la première consiste à reproduire les processus existants en ligne, la seconde consiste à repenser ces processus pour générer de la valeur et renforcer l’impact stratégique de la fonction RH.
Une crise de légitimité
La montée des mouvements sociaux et les débats sur la diversité, l’équité et l’inclusion ont mis en lumière un dilemme : les RH sont-elles au service des valeurs ou de la performance ? Certains dirigeants perçoivent les initiatives DEI comme idéologiques et non stratégiques, ce qui fragilise la légitimité des RH dans la conduite de la transformation. Pourtant, études et pratiques montrent que la diversité et l’inclusion sont de puissants leviers de performance à moyen et long terme. La RH doit donc réussir un double exercice : défendre l’éthique et la justice sociale tout en démontrant l’impact concret sur les résultats et l’innovation
RH : stratèges ou rien
Les RH ne peuvent plus se contenter de gérer le personnel et de remplir des tableaux Excel. Pour rester pertinentes, elles doivent devenir un véritable moteur de transformation, casser les silos, créer de la transparence et piloter des initiatives sociales et organisationnelles concrètes. Cela inclut le développement de nouveaux modèles de travail, la co-construction de parcours de carrière et la facilitation de l’agilité organisationnelle. La critique de Jennifer Sey, CEO de XX-XY Athletics, au sujet des RH « Selon moi, ils ne produisent rien, ils surveillent nos paroles et freinent la créativité», que l’on soit d’accord ou pas, illustre le malaise de certains dirigeants confrontés à une bureaucratie perçue comme paralysante : les RH ne doivent plus être perçues comme un frein, mais un catalyseur de performance et de créativité.
Un métier sous pression
Licenciements, retours au bureau, conformité légale… La charge émotionnelle et opérationnelle des RH explose. Les professionnels de la fonction sont confrontés à des situations complexes où des décisions humaines lourdes doivent être prises quotidiennement. Le turnover dans la fonction atteint des niveaux record, et recruter de nouveaux talents RH devient un défi majeur. Les RH doivent aujourd’hui trouver un équilibre entre obligations administratives, accompagnement des employés et contribution stratégique, souvent avec des ressources limitées (parfois inexistantes)
IA : opportunité et défi éthique
L’IA transforme le recrutement, la formation et la gestion des compétences, mais son adoption reste souvent timide ou gadget. Sa véritable valeur réside dans sa capacité à anticiper les besoins futurs, personnaliser les parcours de développement et réduire les risques de turnover, tout en garantissant transparence, équité et sécurité de l’emploi.
Pour réussir, la fonction RH doit mener un double dialogue : avec le COMEX, pour obtenir les budgets, le soutien stratégique et l’alignement nécessaire à un déploiement efficace; et avec les collaborateurs, pour expliquer comment les algorithmes sont utilisés et intégrer l’humain dans la boucle décisionnelle. L’IA ne peut pas être une expérimentation isolée : elle doit s’inscrire dans une vision globale de la transformation de l’entreprise, soutenue par la direction.
Le rôle stratégique des RH
Les RH doivent être au cœur du business, moteurs de performance et de transformation sociale. Exiger plus de sens, d’autonomie et d’inclusion n’est plus une option. La fonction doit bâtir un environnement où humain et IA collaborent, où chaque décision stratégique prend en compte l’expérience employé et la réalité business. Les RH doivent devenir à la fois visionnaires et opérationnelles, capables de piloter la culture d’entreprise tout en soutenant la croissance et l’innovation.
Virage décisif
Le temps des demi-mesures est révolu. Les RH doivent cesser d’être une simple usine à paperasse digitalisée. Le vrai virage exige flexibilité radicale, transparence, éthique algorithmique et expérience employé connectée et humanisée. La question n’est plus « faut-il changer ? » mais « qui aura le courage de prendre ce virage? » Les organisations qui réussiront ce virage auront des RH au centre de leur stratégie, capables de transformer le business tout en mettant l’humain et la technologie au service de la performance et du développement durable de l’entreprise.